De Marie ANDRE FASSOTTE : L'inconnue du lac
Une nouvelle relatant un fait divers, une jeune fille inconnue, retrouvée morte au pied d'un barrage hydraulique .
Dès le départ du train, je réussis à me calmer. Je ne tremblais plus. Alors que le dernier wagon du convoi qui ramenait la dépouille d’Angelo vers sa Lombardie natale, disparaissait dans le virage, les dix dernières années de ma vie se mirent à défiler dans ma tête.
Tout commença alors que je venais d’être licenciée de mon poste de standardiste d’une petite usine qui venait de déposer le bilan et j’étais désespérée C’était par une journée d’automne ensoleillée, les arbres flamboyaient dans la lumière, le ciel était resplendissant tandis que mon esprit souffrait. J’avais déposé ma bicyclette contre un arbre et je marchais sur la route qui enjambe le lac du barrage. Sous mes pieds, les turbines tournaient et, vers l’amont, mon regard se perdit sur l’immense étendue d’eau où sont engloutis deux hameaux, une église et quelques bergeries , effacés du paysage et happés par les profondeurs .Je flânais sans but, le bruit de l’eau qui filait vers l’aval m’envahissait étrangement. Je traversai la chaussée et je me penchai au-dessus du mur de protection. La vallée profonde s’étalait sous mes yeux comme un immense précipice qui m’envoûtait, mon corps semblait flotter au-dessus du vide et un vertige incontrôlable s’empara de mon équilibre. Cette sensation de légèreté me détachait progressivement de l’envie de vivre. « Ce n’est peut-être que la fin d’une existence tourmentée ! » pensais-je. Depuis ma naissance, je n’avais connu qu’une suite de familles d’accueil. Je vécus cependant des moments heureux avec des frères et sœurs de galère, et les éducateurs disaient de moi : « Hélène a de bons résultats en classe, elle s’en sortira, on n’est pas inquiets pour elle ! Que pouvaient-ils savoir de ce que la vie me réservait ? » Cette fois, j’étais au fond du trou, seule au-dessus de ce barrage hydroélectrique vrombissant et tumultueux, plus rien ne me rattachait à cette terre ! Un avion passa le mur du son et m’éloigna un instant des pensées morbides qui me hantaient. Mais la réalité revint au galop, me cingla en plein visage, cruelle et implacable. Je me répétais sans cesse : « Hélène, tu n’as plus de travail ! Tu n’as pas de famille ! Tu n’es qu’un être isolé au milieu du monde ! Hélène, tu n’es personne ! » Je me cramponnais à ce parapet de béton, tiraillée entre la vie et la mort. Je luttais pour que l’une ou l’autre de ces destinées prenne le dessus et m’aide à prendre une décision pour mon avenir. ( à suivre )