Fascination ( suite )
La bonne nouvelle, c’est que mes membres étaient endoloris mais que mes os n’étaient point brisés. Je sentis mon téléphone au fond de la poche de mon blouson, je le sortis et j’essayai d’appeler les secours, il fallait trouver Alex, sa disparition était redevenue ma plus importante préoccupation, mais je dus me soumettre aux fantaisies du réseau, elles ne m’étaient pas du tout favorables. Le soleil montait à l’horizon et j’entrepris d’escalader la paroi rocheuse, elle était abrupte et instable, les pierres étaient coupantes et se détachaient facilement. Je me blessais les mains à chaque prise. Après avoir bataillé et hurlé, je commençai à apercevoir la surface empierrée du chemin, je me mis à m’encourager à haute voix : « Courage mon vieux, encore quelques efforts pour sortir de ce trou ! » D’un coup de rein, je me hissai au sommet et je restai couché sur le dos, à demi inconscient et je m’endormis. Je ne sais pas combien de temps je suis resté dans cette position mais, tout à coup, je sentis une étrange caresse sur mon visage, j’entrouvris les yeux et je vis un petit chien blanc qui me léchait. Je me relevai avec difficultés, j’étais affreusement courbaturé. Je voulus caresser mon bienfaiteur mais l’animal disparut dans les fourrés. « Ce n’est pas possible me dis-je, ce petit chien n’est certainement pas seul au milieu du monde des volcans ! Je vais appeler, faire du bruit, me faire entendre ! » Je me campai alors au milieu de cette voie empierrée et les mains en porte-voix, j’appelais, je criais, je hurlais de tous mes poumons, en espérant qu’une oreille humaine m’entendrait. Epuisé, le visage tuméfié, les bras et les mains ensanglantés, je marchais sans savoir où j’allais quand j’entendis un ronflement de moteur qui se rapprochait. Je voulus courir vers ce nouvel arrivant mais, ébloui par le soleil, fatigué et inconscient, je m’effondrai sur le sol. Je sombrais dans l’univers du sommeil, quand je sentis que mon corps, qui me donnait l’impression de flotter, était entouré de murmures. Bercé par de doux tangages, emporté dans un rêve lumineux, je m’endormis profondément. Je me réveillai 48h plus tard, un homme inconnu était assis près de moi, j’appris que c’était celui qui m’avait découvert sur le chemin, il me dit : « Alors mon gars, ça va mieux ? », aussitôt, je lui coupai la parole : « Pardon monsieur, savez-vous où est mon ami Alex ? » Il répondit : « Pour sûr ! C’est même lui qui a donné l’alerte ! Après avoir trouvé votre voiture consumée de l’intérieur, les pneus fondus, il était désespéré ! Il est encore en état de choc et je crois qu’il est dans la chambre voisine ! ». Je fermai les yeux en poussant un soupir de soulagement. Après être sorti de sa torpeur et s’être abrité comme il le pouvait pendant le cataclysme qui sema l’horreur au cœur des volcans, il avait retrouvé notre véhicule, complètement carbonisé, au milieu d’un fleuve de boue qui s’étalait sur le pré. De mon côté, je n’avais qu’une idée en tête, retrouver Alex, mais la furie du vent, de l’orage, de la pluie et la fascination du ciel embrasé de feu m’envoûtaient et m’attiraient comme un aimant. Happé par la colonne lumineuse qui avait emprisonné mon regard, je bravais tous les dangers !
La voix de mon sauveteur permit à mon esprit de retrouver sa lucidité. Je compris alors le sens des conversations feutrés que j’entendais dans le couloir : « Etre aussi imprudent, c’est un comble pour un prof de maths ! »
Ce courrier que je viens de recevoir vient d’Alex, il contient des coupures de journaux qui racontent ce qui est arrivé à un jeune randonneur qui vécut le même « syndrome de la fascination » alors qu’une tornade suivie d’un orage magnétique, sans précédent, faisait rage sur les volcans. Il n’eut pas autant de chance que moi, il termina sa marche vers le monde de l’impossible, une jambe broyée sous un arbre ! A demi conscient, il ne cessait de répéter : « J’étais envoûté par une colonne lumineuse qui dominait ma volonté et m’emmenait toujours plus loin ! »
C’est ainsi, qu’un homme connu pour être doté de sagesse et de logique, peut sombrer dans l’irrationnel et devenir, aux yeux de tous, « Un voyageur imprudent ».