(suite)
Samuel se leva, se planta devant Moshé et déclara :
- Grand-père, il y a un moyen de changer de vie, il suffit d’accepter le baptême ! Extérieurement, on vit comme des chrétiens mais, chez nous, on continue à pratiquer notre religion ! C’est ce qu’a fait la famille de ton frère !
- Oh oui ! Cette conversion a été la honte de notre père mais je ne peux le blâmer, il a fait ce qu’il y avait de mieux pour les siens ! Des rabbins disent de faire ce qu’il faut quand notre famille est en danger !
Moshé parlait calmement, sans haine et sans violence. C’était un sage qui tentait de préserver tant bien que mal l’existence de sa communauté. Il ajouta :
- C’est le marranisme ! Je sais que Grâce au baptême, ces convertis ont pu accéder aux emplois de Cour, aux postes honorifiques, aux charges ecclésiastiques qui leur étaient autrefois interdits, de plus, ils fréquentent les universités et les ordres religieux où, comme juifs, ils n'avaient pas droit de cité !
Le visage illuminé d’un large sourire triomphant, Samuel s’écria :
- Grâce à ce baptême, ils ont pénétré des couches entières de la société, la médecine, l'armée , la magistrature, le clergé ! C’est très important pour notre peuple Grand-père ! Et maintenant, ne crois-tu pas que nous sommes en danger ?
Le vieillard passa une main sur son front et dit :
- Nous sommes persécutés depuis si longtemps ! Lors de la captivité des Judéens à Babylone, durant l’époque Perse, nous l’étions déjà ! c’était environ en 510 avant J-C, après la reconstruction du second Temple de Jérusalem ! Notre peuple a survécu grâce à tous ceux qui continuent à respecter les lois du Créateur !
- Mais, on ne ferait que paraître chrétiens et on pratiquerait notre religion, chez nous, cachés derrière nos murs ! hurla Samuel, c’est ce que font les marranes !
Moshé se sentit dépourvu d’arguments. Alors qu’il posait ses mains sur ses genoux et levait les yeux vers le ciel, son fils Isaac qui avait tout entendu, vint à son secours :
- Votre grand-père a raison, une nouvelle alarmante se répand, l'Inquisition, déjà présente en Castille, est introduite en Aragon !
- Pourquoi ? S’écria Samuel
- Même s’ils préfèrent donner l'administration des territoires pris aux musulmans aux Juifs plutôt qu'aux nobles ou au clergé, plus dangereux pour leur pouvoir, les Rois catholiques veulent s’assurer que les convertis sont de bons chrétiens !
Moshé expliqua que ce n’étaient pas des situations enviables :
- Nous savons que les Juifs appelés à ces fonctions atteignent de hautes positions de trésoriers, de collecteurs d'impôts et de ministres ce qui les rend impopulaires et leur sort ne dépend que de l'état de leurs relations avec le roi ! De plus, ils peuvent, à tout moment, être en conflit avec les nobles et le peuple !
Le jeune Samuel se laissa glisser le long d’un tronc et tomba assis sur le sol, le désespoir avait envahi son visage, ses grands yeux reflétaient une indicible tristesse, il susurra en regardant Isaac :
- Père ! Nous sommes donc condamnés à mourir, à souffrir ou à fuir ! Personne ne veut de nous, nous sommes maudits !
- Non mon garçon ! Nous sommes forts, s’il le faut, nous trouverons une autre Terre d’asile ! Nous ne sommes pas arrivés jusqu’à ce jour pour disparaître !
Tandis que l’océan jetait ses vagues sur les rochers, le soleil descendait sur l’horizon et ses rayons rougeâtres embrasaient l’horizon. Moshé appela son petit-fils :
- Samuel, viens près de moi ! Tu te poses beaucoup de questions et c’est normal ! Tu n’es pas indifférent aux conditions de vie de notre communauté et cela me réjouit ! J’ai confiance en toi, je sais que tu sauras faire ce qu’il y a de meilleurs pour les tiens ! Vas mon grand, rejoins tes cousins !
- Merci grand-père ! murmura le garçon
- Je te comprends Samuel, la situation des marranes est actuellement enviable ! Mais combien de temps cela va-t-il durer ? Et l’inquisition, crois-moi, les tortures attaquent ton corps et dans des souffrances intolérables, on te fait avouer n’importe quoi ! On ne peut pas juger ces pauvres créatures qui abjurent leur foi pour échapper aux fers rougis et à d’autres engins de mort !
Le jeune garçon courut rejoindre les enfants, le repas était sur le point d’être servi. Isaac s’installa à côté de son père et se mit à parler :
- Père, la situation s’aggrave de jour en jour ! Ne penses-tu pas qu’il serait temps de préparer notre départ ? On dit que la reine Isabelle va nous menacer de bannissement en pensant que de nombreux Juifs vont se convertir parce qu’ils sont attachés à leur patrie !
- Je crois qu’elle se trompe ! Et je suis persuadé que la grande majorité d’entre nous choisira l’exil ! D’autre part, si nous partons, le pays perdra une grande partie de ses revenus sans compter tous les intellectuels qui brillent par leur savoir et leur enseignement ! Cela va peser sur la balance ! Cependant, j’approuve ton initiative, nous devons préparer notre exil ! Mais où ?
- Les Pays-bas, le port d’Amsterdam ! répondit Isaac, sans hésitation