L’enfouissement des déchets radioactifs est-il aussi rassurant que le prétend L’ANDRA ?
lundi 3 novembre 2008, par Mathias Goldstein
P. Huvelin, géologue retraité
A. Mourot, géophysicien retraité
A. Godinot, Docteur en géologie
La nécessité de publier les remarques de géologues indépendants sur des sujets aussi brûlants sera donc d’autant plus nécessaire, qu’au détour d’un récent décret en date du 21 mars 1996, le Journal Officiel a annoncé, sans aucun exposé des motifs, la suppression du Collège de la prévention des risques technologiques (Salomon, 1996).
Les travaux souterrains seront entrepris sur la base d’études géologiques menées par l’ANDRA et ayant abouti à des conclusions beaucoup trop optimistes. Comme nous allons le montrer, cet organisme, au fil des rapports d’activité, a souvent manifesté une tendance au non-dit, voire occasionnellement à l’omission de faits gênants (suppression de failles, par exemple celles d’Echenay proche du site), à la surestimation si ce n’est à l’ignorance des limites d’efficacité des méthodes employées, tant en ce qui concerne la cartographie géologique (souvent impuissante à déceler les failles en surface, vu l’insuffisance des affleurements dans nos régions), l’interprétation de la sismique, le traitement des données hydrogéologiques (absence d’aquifères admise après deux sondages seulement, et surestimation de l’épaisseur de la couche-hôte).
Fait stupéfiant, le sondage réalisé à l’emplacement du site lui-même (EST 103) a été arrêté avant même d’avoir atteint les calcaires sous-jacents, sans qu’aucune explication n’en ait été donnée, de sorte qu’on ne peut connaître, à l’endroit où cela eut été le plus utile, ni l’épaisseur exacte de la couche-hôte, ni sa perméabilité.
Les recherches géologiques préliminaires à partir de la surface sont donc encore très insuffisantes pour confirmer le bon choix du site et son positionnement exact. D’autre part l’importance des travaux envisagés est telle, qu’elle semble supputer le succès des recherches comme acquis d’avance, ce qui ne sera pas forcément le cas.
Des difficultés sont prévisibles dans la tenue des terrains, spécialement lorsqu’il s’agit d’un encaissant à composante argileuse, sujet au fluage, sensible à la chaleur dégagée par les colis, notable pendant quelques siècles. Pourtant L’ANDRA prévoit un soutènement classique. Il nous paraît donc probable que, dès le début du stockage, l’enfouissement sera tenu pour irréversible, le principal bénéfice de l’opération étant de ne plus voir les déchets en surface et surtout de supprimer les frais d’entretien des travaux. Cependant, eu égard aux garanties de sûreté exigées par un stockage à long terme d’un produit aussi dangereux et sur d’aussi longues durées, précisons bien qu’il n’est pas dans la nature de quelque étude géologique que ce soit, d’apporter des certitudes d’étanchéité. Les « incertitudes résiduelles » si bien évoquées par la Commission Nationale d’Évaluation (juin 1996, rapport d’évaluation n° 2, p. 47) resteront pour nous une expression euphémique signifiant qu’on ne saura jamais tout, sinon presque rien, du moins jamais assez. C’est bien la raison pour laquelle, en reprenant les propos de Cl. Allègre (1990), l’enfouissement de déchets radioactifs, de manière générale, n’est pas la solution satisfaisante : géologiquement parlant le sous-sol est le plus mauvais endroit pour stocker des déchets à long terme, en raison de l’activité corrosive de l’eau tiède, omniprésente, qui finit par tout altérer. Cet auteur recommande de laisser les déchets à la surface et dans un endroit sec, en attendant les résultats des études d’« incinération », avis partagé par CI. Guillemin (1993).
De la pyrite (sulfure de fer) est présente dans les argiles callovo-oxfordiennes, et lors du creusement des galeries du laboratoire, l’oxydation de ces minéraux en milieu humide, va provoquer la formation d’acide sulfurique qui accélérera fortement la corrosion des colis radioactifs dans des solutions acides même diluées. Ce problème n’a pas été évoqué par L’ANDRA dans ses rapports de 1995 et 1996.
Pour le moins, il eut été préférable d’étudier tout d’abord un site « argiles » en subsurface, facilement accessible et de dimensions modestes (du même type que les laboratoires d’études méthodologiques déjà en fonctionnement en Belgique et en Suisse), plutôt qu’un laboratoire profond très onéreux. Cela permettrait d’attendre les résultats des voies 1 et 3 évoquées par l’article 4 de la loi du 30 décembre 1991, à savoir : (Voie 1) l’étude des possibilités de séparation et de transmutation des éléments radioactifs et : (Voie 3) l’étude des procédés de conditionnement et d’entreposage de longue durée en surface, voies desquelles on peut encore attendre des progrès, puisqu’aussi bien, comme le rappelle le comité de scientifiques lorrains (p. 5) « aucune des trois voies... n’est privilégiée par rapport aux autres dans la mesure où elles sont effectuées simultanément et seront dotées de moyens financiers nécessaires ». Il faut donc laisser les déchets en subsurface en conformité avec les règles de sûreté (risques de guerre, d’attentats...). Les erreurs ou malfaçons, déjà décelables à court terme, seront réparables tandis que les fuites émanant d’enfouissement en profondeur seront incontrôlables.
Le risque de ces enfouissements, sans très sérieuses garanties, ne prend pas en considération les droits des générations futures évoqués par l’Art. 1 de la loi du 30 déc. 1991. Avons-nous le droit de prendre ce risque avant même d’avoir épuisé la recherche sur toutes les autres solutions possibles ? Les décideurs devront garder à l’esprit que toute contamination, depuis le site d’enfouissement prévu en Meuse sous la surface, impossible à endiguer, n’engagera pas seulement l’avenir du département de la Meuse mais aussi celui du bassin Marne-Seine tout entier, jusqu’à Paris. Le problème des enfouissements dépasse le cadre départemental et sera bel et bien, et partout, un problème national.
Le maître d’oeuvre, ou Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (ANDRA), dans son compte rendu des travaux de reconnaissances géologiques des trois sites français retenus, daté du 9 avril 1996, auquel nous avons emprunté les chiffres d’épaisseur de terrains mentionnés en introduction, insiste sur la « géologie particulièrement simple » du site de la Meuse qui apparaîtrait comme extrêmement favorable. Nous ne partageons pas son bel optimisme même dans le cas du site le plus favorable. Ce qui frappe toujours dans les rapports de l’ANDRA, c’est l’importance du non-dit, c’est-à-dire de détails pourtant essentiels, sur lesquels on n’insiste pas trop, comme si tout au long des recherches, il s’agissait surtout d’éloigner le mauvais sort en faisant, avec la meilleure bonne volonté, tout ce qu’il était possible de faire. Il est clair que les personnes non averties, même parmi celles qui souhaitaient voir aboutir le projet à tout prix, risquent d’être rassurées à trop bon compte si l’on minimise l’importance de ces détails.
On verra plus loin que L’ANDRA doit remettre ses conclusions sur les travaux en laboratoire souterrain en 2006. Pourquoi cette date si rapprochée ? EDF voit ses centrales nucléaires vieillir plus vite que prévu. Aussi pour pouvoir lancer un nouveau programme de centrales justement vers cette époque, il faut pouvoir annoncer que le problème des déchets (dangereux et à vie très longue) est résolu par l’enfouissement de ceux-ci dans les entrailles de la terre, et que les populations n’ont pas à s’inquiéter de ce danger toujours minimisé par les autorités. Il se pose la question de savoir si l’on nous a impartialement informés sur le degré de validité géologique du choix des sites. il semble bien qu’en fait, le choix se soit fait sur le caractère désertique de la région de Bure-Saudron. On choisit des sites, moins sur des critères géologiques que sur les données démographiques, ce qui tend à réduire localement le nombre des protestataires.
La population est bien trop peu informée pour donner son avis, élus compris. Les rapports et bandes dessinées ne lui offrent qu’un discours officiel biaisé, dans lequel la communication (en d’autres temps on disait propagande) prend le pas sur l’information.
Le lecteur trouvera dans la suite de ce texte les appréciations et commentaires de trois spécialistes des Sciences de la Terre, sur la réversibilité d’un enfouissement, sur la fracturation des terrains, l’hydrogéologie et l’épaisseur de la couche-hôte (ici, les argiles). Nos conclusions font apparaître les « péchés » par omission de L’ANDRA.
RÉVERSIBILITÉ
Que signifie réversibilité ? C’est la possibilité de récupérer les colis hautement radioactifs entreposés dans un endroit sec et répondant aux règles de sécurité, en vue de les retraiter suivant les voies 1 et 3 de la loi du 30 décembre 1991. Il a été proposé une réversibilité à deux niveaux. Le premier correspondant à des colis stockés dans une galerie ouverte, le second à des galeries remblayées en cas de besoin (Rapport de mission de l’Institut lorrain de Géosciences, p. 10 - 12). Le second niveau s’apparente à un stockage définitif sur lequel il n’existe aucune garantie à long et très long terme (100 000 ans et plus). .....
. En effet, les diverses expériences menées en Allemagne, aux États-Unis et en Belgique donnent des indications qui montrent que la réversibilité est un concept séduisant mais impossible à mettre en oeuvre avec des produits radioactifs »
Extrait de la Gazette nucléaire