Le tombeau des souvenirs ( suite )
Un étrange sentiment s’empare de moi. La peur et l’angoisse m’étreignent mais l’envie de savoir m’invite irrésistiblement à continuer :
<< Je m'étais fait des copains, beaucoup étaient de la région, ils connaissaient bien le pays et ils nous montrèrent, sous les arbres, des monuments aux morts couverts de mousse !
C'est alors que le Capitaine commandant intervint :
- Reposez-vous ! Je vous interdis d'aller visiter ces tombes, c’est un ordre ! Vous n'êtes pas en villégiature !
Assis près de nos bécanes, on discutait en mangeant ce qui était le petit-déjeuner, quand un remue-ménage inattendu se fit entendre vers l'avant.
- Ah non ! m’écriais-je, on ne peut même pas bouffer tranquille !
- Qu'est-ce qu'il y a mon ami ? hurla un adjudant
- Excusez-moi mon adjudant, je crois que c'est mon instinct râleur de presque Français ou de Franco-belge !
Il me répondit par un rire et vint me serrer la main, à partir de ce jour, nous sommes devenus de vrais amis ! Le remue-ménage avait été provoqué par l'arrivée du major, commandant le Bataillon. Je me suis relevé, comme tout le monde, pour le saluer. Il descendit de sa voiture, s’avança vers nous, puis, d'une voix sèche et monocorde, s'adressa au groupe en ces termes :
- Officiers, sous-officiers, hommes de troupe, je vous demande d'aller vous incliner respectueusement devant les tombes des soldats français, massacrés dans cette forêt, à la bataille de Rossignol en 1914 !
Un silence pesant s'abattit sur la troupe et tous les hommes, par petits groupes, allèrent se recueillirent dans ce triste lieu qui n'était qu'un rassemblement de fosses communes où étaient enterrés des soldats français, plus d'une dizaine par fosse ! Des frissons parcoururent mon corps, d'un bout à l'autre. Là, devant ces pierres tombales, nous avions une image de la guerre et de ses conséquences. Quelques larmes furtives, vite essuyées, se perdirent au fond de nos yeux, nous sentions que pour nous aussi, la guerre était proche. Après ce recueillement devant les tombes, chacun reprit sa bicyclette et se remit à pédaler. A 16 heures, on a posé le pied dans une ferme, ce fut notre premier cantonnement ! Deux cents bidasses avec leur vélo, assis dans une prairie, en attendant la soupe, ça fait du monde ! Comme j'avais du mal à rester en place, j'en ai profité pour partir à la recherche de copains que j’aurais pu connaître au cours de mon service militaire ou pendant les périodes précédentes.>> ( à suivre )